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“Le chef d’œuvre de l’été” ou le melon (Vinci, Artaserse, Jaroussky, Cencic, Barna Sabadus, Fasolis – Virgin)

Le melon (Cucumis melo) est une plante herbacée annuelle originaire d’Afrique intertropicale appartenant à la famille des cucurbitacées. Cette plante donne un faux-fruit à la peau brodée et au cœur doux et orangé. Délice des cours européennes et damnation de certains esprits tels Madame de Sévigné ou Voltaire qui, spirituellement, le qualifia de chef d’œuvre de l’été.

Leonardo VINCI (1690/96 ?-1730)

Artaserse (Rome – 1730)

Artaserse – Philippe Jaroussky
Mandane – Max-Emmanuel Cencic
Arsace – Franco Fagioli
Semira – Valer Barna Sabadus
Artabano – Daniel Behle
Megabise – Yuriy Mynenko

Concerto Köln
Dir. Diego Fasolis 

3 CDs, Virgin Classics, 2012.

Le melon (Cucumis melo) est une plante herbacée annuelle originaire d’Afrique intertropicale appartenant à la famille des cucurbitacées. Cette plante donne un faux-fruit à la peau brodée et au cœur doux et orangé. Délice des cours européennes et damnation de certains esprits tels Madame de Sévigné ou Voltaire qui, spirituellement, le qualifia de “chef d’œuvre de l’été”. Le grand homme de lettres n’était pas le seul au XVIIIème siècle à louer ce fruit et sa chair juteuse, le grand compositeur Leonardo Vinci avait la passion du melon.  Le 26 mai 1730, le soir tombait doucement sur la baie de Naples, le maestro Vinci, qu’on peut imaginer aisément un peu échevelé avec des longues mèches blanches à la Léo Ferré, s’éloigna un peu de son clavecin pour contempler de sa fenêtre la rue ensoleillée. L’heure du souper s’approchait, petit à petit la mer Tyrrhénienne chatoyait d’argent liquide au rythme des dauphins lointains qui marquaient son horizon diamantin.  La faim guettait le maestro, qui sans doute préparait un nouveau chef d’œuvre pour les théâtres de Rome, Naples ou Venise.

Le récent succès de son Artaserse le 4 février 1730 au Teatro Alibert de Rome a montré que son génie pouvait se marier très bien avec les livrets de l’étoile montante de Métastase. Peut-être avait-il aussi supervisé un peu les quelques pages de son jeune et prometteur élève Giovanni Battista Pergolesi qui achevait un oratorio sur Saint Guillaume d’Aquitaine. Perdu dans ses rêveries, Leonardo Vinci ne vit pas que sur un plateau d’argent le domestique venait de lui apporter un bol de vermeil rempli de neige du Vésuve et trônant fier et superbe un melon parfaitement rond. Le maestro, friand de ce fruit juteux, prit le couteau qui se trouvait à côté du plateau. Il perça la peau du melon qui craqua légèrement et fit saigner le miel orangé de son cœur sucré.

Quasiment 300 ans après, le melon se trouve en grandes surfaces et rien n’est plus commun que ce fruit durant les repas estivaux.  Le côté bon vivant de Leonardo Vinci et sa “melonomanie” ne l’ont pas sauvé d’un injuste oubli, alors que même Haendel avait adapté deux de ses opéras à la scène Londonienne : Semiramide Riconosciuta et le merveilleux Artaserse.  C’est finalement cet Artaserse qui a remporté le pari de ressusciter l’enthousiasme pour le maître napolitain  en 2012.  Et ce n’est pas un melon de l’été que ce projet. Artaserse et Leonardo Vinci doivent beaucoup à Max-Emmanuel Cencic et sa maison de production Parnassus. En effet le contre-ténor,  à part nous ravir à chacune de ses prestations  s’avère être un porteur de projets incroyable. On lui doit notamment le Faramondo de 2009 et quasiment au même temps le Farnace de Vivaldi. Cette fois-ci il s’entoure d’une équipe hors pair pour recréer l’ambiance du Teatro Alibert qui n’employa que des hommes pour la création d’Artaserse en 1730. Max-Emmanuel Cencic s’entoure de ses plus talentueux confrères aux voix tout aussi exceptionnelles que la sienne et adaptées au rôle qui leur est confié.  Nous sommes enthousiastes par les réalisations de cette nouvelle maison de production.  A l’heure où les programmateurs, les pouvoirs publics et quelques artistes sont dans une frilosité de projets étonnante pour une ère de progrès,  Max-Emmanuel Cencic et ses collaborateurs entreprennent des recréations, des redécouvertes passionnantes et d’un raffinement incroyable. Nous saluons et encourageons Parnassus dans sa démarche et dans ses choix.

Finalement, les grands desseins en temps de crise survivent par l’adaptation et la flexibilité. L’évolution de l’institution culturelle force ses acteurs à s’adapter ou mourir.  Deux exemples notables de cette adaptation démontrent que le futur de la musique ancienne reposera dans le changement structurel. C’est à dire, des festivals, des orchestres devront évoluer et devenir des auto-producteurs et des forces de programmation pour booster les jeunes artistes et administratifs et leur offrir une base d’expérience et de formation. Les exemples du C.F.A. de l’Opéra National de Lorraine n’est pas en reste, mais l’évolution du Centre Culturel de Rencontre d’Ambronay ou Parnassus Productions sont des exemples remarquables de cette nouvelle donne. Cet Artaserse a été clairement produit par ses propres acteurs et la portée de cette initiative porte ses fruits.

Tout d’abord le choix de l’orchestre. Pour cet opéra du pur style napolitain, le Concerto Köln fait ressortir bien définies des couleurs insoupçonnées de la partition. On se retrouve plastiquement davantage dans les contours détaillés d’un Panini que dans les fantaisies colorées d’un Tiepolo. Mais le pari musical réussit largement. Nous sommes séduits par la puissance des timbres, la précision du continuo, la richesse des modulations et des rythmes et surtout la puissance et la clarté des cuivres.  Le Concerto Köln démontre encore une fois une maîtrise du répertoire italien sans faille et nous trouvons que le style de Leonardo Vinci se démarque totalement de ceux de ses contemporains.  Dans un autre registre n’oublions pas non plus les incursions d’Antonio Florio et de ses Turchini, c’est à eux que nous devons la redécouverte de Vinci. Cet Artaserse est la consécration du maître du jeune Pergolesi.

Au lieu d’être à la tête de ses habituels Barocchisti, Diego Fasolis entreprend ici la direction de Concerto Köln. Avec l’énergie qui le caractérise et la sensibilité de son approche nous apprécions le dramatisme de ses attaques et la précision des couleurs qu’il dessine avec l’orchestre. Diego Fasolis nous émeut et nous rend Vinci dans la splendeur de cette partition.  Un vrai délice.

Au cœur de cet Artaserse, source de tout le goût de cet opéra, se trouve une distribution tout autant exceptionnelle que variée. Le pari de Parnassus à été de reconstituer le son d’origine avec une troupe exclusivement masculine.  En effet, en 1730 les théâtres romains étaient encore sous l’interdiction pontificale de toute présence féminine sur leurs scènes. Si à la lecture de certains noms on gardait certaines réserves, nous avons été très agréablement surpris par les progrès de certains jeunes contre-ténors montants.

Le rôle-titre et la pochette plumassière sont dévolus à Philippe Jaroussky. Assez satisfaisant dans ce rôle finalement assez fade qui n’a que des airs de circonstance, une sorte de personnage hiératique sans beaucoup de personnalité. Philippe Jaroussky développe aisément son timbre immuable, il incarne finalement bien la statue d’Artaserse.

Face à lui,  le personnage bien plus complexe d’Arsace se taille la part du lion dans la partition. Franco Fagioli est tout simplement phénoménal !  Il se révèle une des voix les plus exceptionnelles de ces vingt dernières années. Après avoir surpassé largement Vivica Genaux dans l’air “Parto qual pastorello” dans son incarnation du même Arsace dans l’Artaserse de Hasse à Martina Franca cet été,  Franco Fagioli fait exploser le cadre et nous offre une véritable myriade d’émotions et de couleurs dans le “Vo solcando un mar crudele” point d’orgue de la philosophie initiatique métastasienne. Franco Fagioli se révèle imaginatif dans ses ornements qu’il équilibre parfaitement.  Il atteint des aigus puissants sans faillir au timbre et descends dans des graves veloutés. De notre temps, il est certain, que les seuls interprètes qui peuvent solidement et humainement s’attaquer à ce répertoire virtuose particulier sont : Franco Fagioli et Vivica Genaux.

Attardons nous sur la Mandane de Max-Emmanuel Cencic. Le contre ténor ne nous avait pas vraiment convaincu dans son Farnace de Vivaldi.  Par contre, il nous a ravi avec son Faramondo de Haendel et bien entendu avec son Joachim dans la Susannah du grand Saxon avec William Christie.  Ici Max Emmanuel déploie une palette étonnante dans une partition axée sur le dramatisme au féminin. Une sorte à la fois de retenue et de virtuosité qu’il dose jusqu’à l’extase pour notre plus grand bonheur. Les couleurs de sa voix s’adaptent tellement bien à son rôle que nous pourrions hasarder qu’il est un caméléon incroyable. Plus les couleurs sont sublimes, plus la partition est chatoyante, plus Max Emmanuel Cencic nous surprend par son interprétation. Les ornements sont intercalés avec intelligence et précision, les da capi sont inventifs et originaux, les aigus maîtrisés et stratosphériques, les graves nous surprennent par leur chaleur et leur grâce. Le contre-ténor nous ravit et nous comble de joie non seulement en tant qu’instigateur de ce sublime projet mais en tant qu’artiste. Max-Emmanuel Cencic poursuit sa route vers le Parnasse couronné d’Erato à chaque note qui sort de sa voix.

En grand rival de la morale métastasienne, repoussoir de toute vertu noble, l’Artabano de Daniel Behle est simplement spectaculaire. Nous n’allons pas nous livrer à une surenchère d’épithètes mais il est tellement rare de trouver un ténor qui puisse se livrer à des tels défis musicaux. Daniel Behle est à la fois funambuliste et alchimiste. Il avait déjà largement montré dans le Farnace de Vivaldi ses capacités de virtuose, mais le style Vivaldien ne laissait que très peu de marge à une réelle démonstration de son talent de coloriste.  Dès les premiers récitatifs, les choses sont fixées. Artabano est le personnage le plus politique, celui qui nous ressemble, qui calcule, qui se trompe et qui souffre et fait souffrir.  Du “Non ti son padre”  à l’incroyable “Amalo, e si al tuo sguardo” Daniel Behle est remarquable de complexité et de couleur.  Notamment dans le deuxième air aux accents péremptoires et cruels,  il fait une exposition des plus belles envolées de sa voix, équilibrée. Daniel Behle se révèle ici ce que devrait être le ténor idéal de l’opera séria : dramatique,  puissant, sensible et équilibré.

Dans le rôle de la très jeune Sémira, nous retrouvons la nouvelle étoile montante des contre-ténors Valer Barna-Sabadus. S’il est bien vrai qu’à l’inverse d’une partie de la rédaction, nous avions détesté profondément son interprétation de la Didone Abbandonata de Hasse qui fut déformée par un abatage médiatico-matrixien (sous le titre passablement ridicule de “Hasse reloaded”). Et bien oui, nous l’avouons humblement, par son interprétation de la Sémira, Valer Barna-Sabadus nous a éblouis ! Il nous reconcilie totalement avec son timbre et sa personnalité artistique.  Et pourtant nous l’attendions au tournant avec l’air “Bramar di perdere” qui est un de nos airs préférés. Le jeune contre-ténor roumain nous a émus bien plus que d’autres interprètes, il saisit le texte avec une simplicité telle qu’il lui donne toute sa profondeur. Nous encourageons ce talentueux artiste à poursuivre la route du sentiment et nous acceptons que nous l’avons jugé un peu trop vite.  Un conseil néanmoins, Valer Barna-Sabadus devrait, nonobstant, soigner son répertoire pour éviter de sombrer à nouveau dans une inadéquation pénible comme celle de la Didone, avec sa Sémira il a démontré sa réelle valeur, qu’il nous émerveille à nouveau !

En personnage quelque peu annexe, le martial Megabise de Yuriy Mynenko est une autre passionnante découverte. Ce jeune contre-ténor de l’écurie de Parnassus s’ajoute aux talents venus du Nord, au même niveau que Julia Lezhneva ou Ann Hallenberg. Dès son premier air tonitruant de virilité “Sogna il guerrier le schiere”, nous sommes sans voix devant l’étendue du talent de cet artiste. Avec des vocalises impressionnantes et une puissance dans le legato, une ornementation sans faille, il nous enthousiasme et nous attendons vivement le prochain disque où il nous rendra fous de plaisir avec toute cette cascade d’orfèvrerie.

Au bout de trois coups de fourchette, les papilles de Leonardo Vinci se réjouissaient du mets sublime qui leur était présenté. Le goût douceâtre était accompagné d’une petite pointe d’amertume quelque peu épicée, quasiment indétectable mais, ma foi, pas désagréable.  Le maestro, en extase se rappelait-il de son récent succès avec cet Artaserse qui fit frémir Rome ou de la rencontre fortuite de  son collègue Porpora qui, au détour d’une rue près du port le salua avec un sourire fielleux. Le bon vieux Porpora venait de redonner son Siface au Capranica, mais n’avait pas eu autant de chance que lui avec son Artaserse, sans doute une bonne étoile ou le goût de la vie, qui sait. Entre temps,  avec un sourire de délectation, le maestro Vinci fredonnait un de ses airs qui le rendirent célèbre, piqués et mutins. Il ne finit pas tout le melon en laissant un peu pour le lendemain matin, sa fraîcheur allait être préservée par la neige qui ne fondait pas. Il recouvrir le tout d’un linge de lin blanc,  il pensa un moment au linceul qui pouvait recouvrir la vie en un instant. La nuit tomba d’un coup. Sur le guéridon, près du plateau encore plein de neige, le maestro ne remarqua pas un billet griffonné apporté avec le fruit “Per il grande Vinci. N. Porpora”.

Le lendemain le melon resta intact, Leonardo Vinci était subitement rappelé à goûter les délices de l’Eden et souffrir, jusqu’en 2012,  le purgatoire de l’oubli.

Pedro-Octavio Diaz

Technique : prise de son claire, assez neutre.

Étiquettes : , , , , , , , , , , Dernière modification: 15 décembre 2020
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