Rédigé par 15 h 32 min Concerts, Critiques

“Baroques en Cercles”

Nul besoin d’être biologiste, anthropologue ou Casanova pour s’en être un jour rendu compte : chaleur et lumière favorisent le commerce des âmes et le rapprochement des corps. Ainsi quand sous le soleil de Cercles il est question de “chants amoureux” on se dit que c’est la saison, après tout, et même à quatre siècles de distance.

“Baroques en Cercles”

26 juillet 2013 

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L’Abbatiale de Cercles © Accent tonique, 2013

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Œuvres de Charles Hurel, Michel Lambert, John Blow & Henry Purcell
Charles Daniels : Ténor
Fred Jacobs : Théorbe

Abbatiale de Cercles – 16h30 

Nul besoin d’être biologiste, anthropologue ou Casanova pour s’en être un jour rendu compte : chaleur et lumière favorisent le commerce des âmes et le rapprochement des corps. Ainsi quand sous le soleil de Cercles il est question de “chants amoureux” on se dit que c’est la saison, après tout, et même à quatre siècles de distance. Car c’est bien entre 1650 et 1700 que ces airs à la thématique si intemporelle furent composés, en France ou en Angleterre.

C’est le Prélude en ré mineur de Charles Hurel qui inaugure le concert, sereinement interprété au théorbe par un Fred Jacobs dont la sobriété et la clarté d’exposition harmonique offriront un écrin idéal aux mélodies à venir. Nous rentrons dans le vif du sujet et le cœur du programme avec trois airs de Michel Lambert, maître français de la discipline. D’emblée on perçoit le projet esthétique de Charles Daniels. Cherchant l’expression au détour de chaque syllabe, de chaque inflexion il tente d’épouser le texte et de mettre en valeur la complexité et la subtilité des mélodies. Ce goût de l’orfèvrerie donnera des instants de grâce et quelques (rares) moments difficiles où l’on sentira le ténor anglais un peu perdu dans sa propre dentelle. Il est vrai que l’acoustique d’une telle église rend difficilement justice à ces airs pensés pour d’autres lieux et d’autres circonstances, a fortiori avec de telles velléités expressives : une voyelle chantée forte résonne encore et l’attaque suivante, à peine soufflée, n’arrive que difficilement aux oreilles de l’auditeur. La voix souple et toute en nuance du ténor gratifiera pourtant l’assistance de superbes passages dans les airs de Blow et, surtout, de Purcell où une plus grande sobriété et une énergie apparemment décuplée feront merveille. ‘Tis Wine Was Made To Rule The Day est magnifique et clôture un très beau programme, exigeant et rare.

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Charles Daniel & Fred Jacobs © Accent tonique, 2013

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Tout aussi rare en la circonstance est l’invitée surprise qui s’est mêlée avec plus ou moins de bonheur à ces chants déjà complexes… On l’avait naïvement prise pour une cigale. Renseignement pris il s’agit plutôt d’une chauve-souris et elle chantera ce soir encore. L’animal affectionne les bis. Saluons au passage le flegme des musiciens qui ne paraîtront jamais affectés par cette choriste inhabituelle malgré une fréquence et un volume sonore pour le moins conséquents. Est-ce tellement grave, au fond ? La musique est-elle à ce point fragile qu’elle ne puisse souffrir la moindre manifestation du monde extérieur ? Est-elle malade au point de n’être jouable que dans une chambre stérile et un silence révérencieux ? La musique, merci pour elle, se remettra bien de cette petite irruption de la vie sauvage et, sortant, on va jusqu’à se dire que tout cela participe du charme de ce festival. Dehors, l’atmosphère est toujours aussi chaleureuse et familiale. On croise aussi bien des  musiciens que des producteurs locaux venus présenter leur vin, leur fromage… Au milieu d’un pré à cent mètres de l’église une conférence est donnée, où l’on s’interrogera sur les spécificités des théorbes français et italiens. Et tout ce petit monde dînera, mélangé autour de longues tablées. Grande musique, convivialité et amour du patrimoine, telle est toujours la sainte-trinité de l’Itinéraire Baroque en Périgord Vert.

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Le Caecilia Concert © Accent tonique, 2013

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Inspirations vénitiennes : œuvres de Tunder, Weckmann, Sweelinck, Hollanders, Buchner et Buxtehude.

Faye Newton, soprano
Caecilia Concert
Stefano Rossi, violon
Jamy Savan, cornet à bouquin
Kathryn Cok, clavecin, orgue
Adam Woolf, trombone
Wouter Verschuren, dulciane 

Abbatiale de Cercles – 20h30

Le programme du soir nous renvoie encore au XVIIème siècle mais, cette fois-ci, nettement plus au sud. C’est en effet à l’effervescence artistique de la ville éternelle que l’excellent Caecilia Concert s’apprête à rendre hommage. Des compositeurs vénitiens seront à l’honneur jusque à l’entracte avant de laisser parler leur influence sur les grands compositeurs allemands de l’époque. Perçant le silence liminaire la superbe sonate n°14 de Dario Castello est frappante de beauté et d’équilibre sonore. La diversité des timbres est sublimée par le geste interprétatif et la cohérence rythmique de l’ensemble. Cette entente trouvera son apogée lors de la Chromatic Recercada de Frescobaldi, dont les contrepoints complexes et savoureux viendront caresser l’oreille et flatter avec caractère les instincts polyphonistes. La variété des pièces et des instruments mobilisés permettra à chaque musicien de mettre en avant ses nombreuses qualités. On notera de charmants duos dulciane & trombone, notamment lors de la sonate n°9 de Weckmann aux stacatti parfaitement maîtrisés. Le corniste Jamy Savan aura quant à lui maintes fois l’occasion de faire entendre la beauté de son phrasé. Dialoguant toujours brillamment avec le chant il parvient à tirer d’un instrument notoirement injouable des traits d’une grande subtilité et d’une expressivité incroyable.

Si la voix de Faye Newton est étonnante, claire et brute à la fois, son style est exempt de toute fioriture. Quelques trilles et ornements bien sentis l’assouplissent bien un peu mais on sent d’abord chez elle une volonté de s’intégrer au discours musical, de prendre part aux contrepoints si caractéristiques de cette musique. Elle n’est pas là pour singer la Diva gesticulant sur son tapis d’instruments. Sa voix est aussi un instrument. Particulier, certes, incarnation et transport de sens, mais qui ne domine pas outrageusement l’ensemble et vient simplement prendre sa place au sommet de l’édifice. Du très beau Quam pulchram est de Giovanni Paolo Cima à la perfection du Jesu mi dulcissime d’Alessandro Grandi on gardera cette impression d’osmose. La soirée s’achève avec une pièce de Buxtehude, Quemadmodum desiderat servum, riche en vocalises et en réponses instrumentales, le tout emmené avec cette vigueur et cette confiance métrique qui auront fait merveille durant tout le concert.

Gilles Grohan

Étiquettes : , , , , , , Dernière modification: 8 juin 2021
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