Rédigé par 16 h 02 min Cinéma, Critiques, Littérature & Beaux-arts

Chronique d’un désastre

Voici donc en DVD, après avoir sévi sur les écrans – et après plus de trente ans d’absence puisque le Cantor avait disparu après l’extraordinaire Chronique d’Anna Magdalena Bach de Jean-Marie Straub avec Gustav Leonhardt sortie en 1967 – l’un des plus grands génie musical de tous les temps. Malheureusement, tous les ingrédients sont ici réunis pour réaliser l’ultime navet…

Il était une fois Jean Sébastien Bach

Un film de Jean-Louis Guillermou, avec Christian Vadim (Bach), Gwénaël Fouché (Bach enfant), la voix de Jean Rochefort, Elena Lenina (Anna Magdalena). France, Couleur, 1 h 45, 2003

Un navet de Jean-Louis Guillermou, avec Christian Vadim (Bach), Gwénaël Fouché qui aurait mieux fait de ne pas jouer Bach enfant, la voix d’outre-tombe de Jean Rochefort, Elena Lenina en très pulpeuse Anna Magdalena, Couleur (quel gâchis), 1 h 45 d’ennui.

Voici donc en DVD, après avoir sévi sur les écrans – et après plus de trente ans d’absence puisque le Cantor avait disparu après l’extraordinaire Chronique d’Anna Magdalena Bach de Jean-Marie Straub avec Gustav Leonhardt sortie en 1967 –  l’un des plus grands génie musical de tous les temps. Malheureusement, tous les ingrédients sont ici réunis pour réaliser l’ultime navet.

Considérons donc rapidement les divers aspects de ce ratage monumental :

Les acteurs plus que maladroits récitent un texte ridiculement pédant sans aucune conviction, tels des élèves de primaire interrogés sur une fable de La Fontaine. Le jeune Fouché en Bach enfant est totalement grotesque dans sa prétention laborieuse tandis que Christian Vadim est le seul à tirer son épingle du jeu, bien qu’il ne ressemble physiquement guère au compositeur. Passons rapidement sur tous les autres rôles et attardons nous plutôt un instant sur Elena Lenina. Serait-ce TF1 qui aurait imposer la poupée russe de Nice People dans un environnement où elle n’a visiblement rien à faire, hormis attirer le spectateur par sa forte poitrine et son maquillage de Spice Girl?

Aux côtés de ce joli monde surgissent des décors où abondent les anachronismes les plus flagrants, par manque de budget peut-être, mais surtout d’attention. Même un internaute comme votre humble serviteur arrive à retoucher un tuyau de plastique, un interphone, une plaque de ciment ou une rue goudronnée, sans compter les instrumentistes en chemise début XXIème siècle. Oups ! J’ai même oublié les ampoules électriques des lustres et les poupées en plastique (figurant les enfants de Bach à leur naissance)… Inutile de signaler que l’église gothique grise n’a absolument rien à voir avec la Thomaskirsche de Leipzig et que le vieux château en brique et pierre (mairie de village ?) où tous les intérieurs furent filmés n’a que peu de rapport avec les cours princières de Cöthen ou Weimar.

La musique à présent : la bande son contient des extraits d’enregistrements passables de Karl Richter à la tête de l’Orchestre et du Choeur Bach de Munich, ainsi que des passages joués par l’ensemble de chambre la Courée, dirigé par le pianiste-compositeur électroacoustique Alexandre Levy. Cette dernière formation est encore inconnue : mieux vaut qu’elle le reste…

Maintenant que nous sommes d’accord sur la qualité de l’interprétation (quoique j’ai une grande admiration pour Karl Richter dans d’autres répertoires), voyons ce que le réalisateur en a fait : synchronisation minable, morceaux mal chuintés, affects et tonalités sans rapport avec les images. Une scène inoubliable voit Bach diriger une de ses plus belles cantates : la BWV 147 “Herz und Mund und Tat und Leben”. L’instrumentarium est déficient (où sont les trompettes ?), le chœur comprend des femmes et son effectif malingre est très loin d’atteindre les 4 voix par partie + solistes requis idéalement (cf Memorandum de Leipzig). Déjà que la scène à Cöthen possédait un clavecin/boîte de sapin particulièrement laid, digne d’un grenier de grand mère…

Arrêtons donc le massacre et ne pointons pas du doigt toutes les erreurs par rapport à la biographie même du Cantor. Par exemple, si Bach fut renvoyé d’Arnstadt c’est parce qu’il s’était absenté trop souvent pour aller écouter les improvisations de Buxtehünde et parce qu’il avait pris parti contre le prêtre de sa paroisse dans la querelle sur le quiétisme. De même, pardonnons à un Jean Rochefort mal en point ses interruptions barbantes lues d’une voix monocorde.

Enfin, de grâce, que ce film retourne dans les oubliettes et que ceux qui veulent connaître la vie de Bach se tournent vers Les Chroniques d’Anna Magdalena Bach de Straub ou achètent un CD de cantates par Nikolaus Harnoncourt ou  Gustav Leonhardt (Teldec).

Viet-Linh Nguyen

Étiquettes : , Dernière modification: 18 juillet 2014
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