François COUPERIN dit Le Grand (1668-1733)
Intégrale des Pièces de Clavecin
Les pièces de clavecin de Couperin représentent le sommet de la musique française de clavecin. Mis à part les préludes de l’Art de toucher le Clavecin, l’œuvre de Couperin se compose de 233, groupées par tonalités en 27 «ordres» publiés en quatre livres (1713, 1717, 1722 et 1730).
Avertissement : ce comparatif à la plume volontairement enlevée est trompeur. Trompeur car réducteur. Trompeur car fabricant de catégories, grand étiqueteur devant l’Eternel. En effet, la multiplicité de ton des pièces de Couperin rend difficile de se prononcer si ce n’est en généralisant quelques traits de la vision de chaque claveciniste. En outre, pour une même intégrale, des instruments différents sont la plupart du temps utilisés, pour des raisons d’esthétique et d’organisation. Ces avis, parfois assez subjectifs, se substitueront donc encore moins qu’à l’accoutumée à l’écoute de chacun. Ils se fondent sur l’écoute comparée intensive d’un échantillon de pièces diverses : La Convalescente, Les Barricades Mystérieuses, le 8e Ordre dans son ensemble, etc.
Muse d’or : Noëlle Spieth (Solstice, enr. 1990-2003) : la référence incontournable, avec des enregistrements qui ont mûri sur 13 ans, grâce à un courageux label indépendant. Sous les doigts agiles de Noëlle Spieth se déroule un incessant kaléidoscope d’images multicolores, car l’artiste aborde Couperin comme une peintre. Jamais les titres énigmatiques de chacune des pièces n’auront aussi bien porté leurs noms, véritables croquis sur le vifs, affectueux ou ironiques, sans jamais de méchanceté. Le maître mot de Noëlle Spieth est le mouvement et le contraste. Tour à tour capable de brosser de grouillantes tempêtes, d’aborder les mouvements en style luthé avec émotion et pudeur, la claveciniste émeut et surprend à chaque note. « La Convalescente » dégage une intense souffrance contenue, « L’Epineuse » suspend son vol, « La Pantomine » claudique de façon comique… Et même dans les mouvements les plus légers et rapides transparaît toujours une pensée réfléchie, posée, généreuse ; une volonté d’interpeller l’auditeur, de dialoguer avec lui, d’attendre en retour un regard soit amusé, soit compatissant. Ajoutons que les conseils et la partition de Couperin sont scrupuleusement et magnifiquement respectés. Une intégrale à posséder absolument, et qui a détrône Scott Ross dans notre cœur, c’est dire !
Muse 5 : Scott Ross (Stil, enr. étés 1977 et 1978) : avec l’intégrale des sonates de Scarlatti, voilà le grand leg de ce claveciniste qui nous a quitté trop tôt. Une version très intérieure, reflet de la maladie de Scott, et un face à face impressionnant entre deux personnalités somme toute très proches. Deux mélancolies qui se sont rejointes le temps de deux étés. Nostalgique, rêveur, poète, Ross sculpte chaque note avec humilité. Ni vif, ni hésitant, son interprétation s’avère d’un naturel inimitable, que certains cependant déclineront pour moins de retenue et des contrastes plus marqués. Une version intimiste, presque murmurante, émouvante pour ceux qui prendront le temps de s’y plonger.
Muse 4 : Christophe Rousset (Harmonia Mundi, enr. 1993-1995) : le son du clavecin est très clair et cristallin dans cette lecture spontanée et parfois violente, plus à l’aise dans la conversation que dans le non-dit. Ce Couperin-ci est libre, fougueux et malcommode ; séduit par sa franchise, son expressivité, sa force. Certes, ce n’est pas le toucher le plus suggestif qui soit, mais l’enregistrement de Rousset est assurément à connaître. Tout le contraire de Ross, sans atteindre la brusquerie de Borgstede (cf. infra).
Muse 4 : Blandine Verlet (Astrée, enr. 1976-1980) : exit Olivier Baumont et son spleen lugubre, voici Blandine Verlet, virtuose, gracieuse, élégante. Infiniment virtuose, gracieuse et élégante… Seulement virtuose, gracieuse et élégante. Les « Barricades Mystérieuses » sont magnifiques de couleur mais plates de mystère, et Blandine semble poursuivie par un lion et pressée d’attraper son train. Pourquoi tant de hâte et de bousculade dans « La Convalescente » ou « Les Lys naissants » ? Avec Verlet, Couperin peine à se différencier de ces successeurs galants, les « petits maîtres » Dandrieu, Balbastre ou Duphly. Une légèreté pardonnable devant tant de charmes, pour un Couperin de cour proche de ses Concerts royaux.
Muse 3 : Olivier Baumont (Erato, enr. 1992-1995) : avec Olivier Baumont, le suicide n’est pas loin dans les grandes pages nostalgiques de Couperin. Triste et introspectif, l’artiste soupire et languit à n’en plus finir, transformant les pièces de clavecin en poignantes Leçons de Ténèbres. En revanche, Beaumont s’avère un peu brouillon dans les passages plus emportés qu’il interprète avec malice, et manque malheureusement de clarté dans les passages écrits en style luthé. En outre, il dévie des ornements strictement notés par Couperin. Une version inégale, belle et très sombre.
Muse 2 : Michael Borgstede (Brilliant Classics, enr. 2004-2005) : L’un des deux clavecins utilisés, copie d’un Rückers 1638 est dur pour les arabesques du maître et traduit bien le côté brut de cet enregistrement. Le style est assuré, un peu trop appuyé, refusant délibérément tout doute, avec des ornements d’une virtuosité mécanique. Une vision lourde et carrée qui ne correspond guère à notre attente d’un Couperin timide, attentif aux autres et plein d’humour. Borgstede, c’est un peu le Lully interprété par Rheinhardt Goebel dans Le Roi danse… Et la tendresse, bordel ! Petit prix qui en tentera certains cependant, adeptes d’un clavecin mitrailleur.
Muse 1 :
(Harmonia Mundi, enr. 1970-1971) : la première intégrale, que l’on saluera pour son côté pionner. Hélas, ce Couperin-ci est rude, professoral et austère. Pour tout dire, ennuyeux et froid. C’est la Cour de Marbre, Mme de Maintenon, et l’Allemagne calviniste. Les sanguines de Watteau se transforment en gravures de Dürer…
Viet-Linh NGUYEN
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