Dietrich BUXTEHUDE (1637-1707)
3 sonates (BuxWV 271, BuxWV 266, BuxWV 269) à 2 violons, viole de gambe et basse continue (manuscrits d’Uppsala)
Johann Adam REINCKEN (1643-1722)
Hortus Musicus I et IV, à 2 violons, viole de gambe et basse continue
Ensemble La Rêveuse : Stéphan Dudermel, Simon Heyerick (violons), Florence Bolton (viole de gambe), Angélique Mauillon (harpe triple), Bertrand Cuiller (clavecin & orgue), Emmanuel Mandrin (orgue)
Benjamin Perrot, théorbe & direction
Mirare, 1 CD, 67’22
Pour sa troisième parution discographique, l’ensemble La Rêveuse a choisi de s’orienter, après deux disques remarqués consacrés au XVIIe siècle anglais dont l’un consacré à des airs de Purcell (Mirare), vers leurs contemporains allemands. On y découvre en effet des sonates en quatuor de deux grands maîtres du Nord : Buxtehude de Lübeck et Reincken d’Hambourg.
Saluons tout d’abord la cohérence du programme. Outre la chronologie, ces deux compositeurs ont comme point commun d’avoir tous deux reçu la visite du jeune Johann Sebastian Bach – fait qu’on oublie souvent pour Reinken, qu’on oublie d’ailleurs souvent même sans cela. Et pourtant l’écriture de Reincken ne démérite pas de la comparaison avec celle du célèbre Buxtehude ! On découvre même un style assez proche chez les deux collègues, avec une même rhétorique de répétition de motifs, une même modernité formelle au sein d’œuvres qui savent prendre leurs libertés avec les schémas préétablis : si Buxtehude fait clairement éclater la structure traditionnelle de la sonata da camera héritée de Corelli, Reinken s’attaque à la suite « allemande – courante – sarabande – gigue » qu’il conserve en la faisant précéder d’une longue pièce, intitulée « Sonata », d’allure très libre. Enfin, l’on sent à chaque instant l’influence de l’Italie intégrée par l’Autriche pointer dans le traitement des traits virtuoses a solo (comme par exemple chez Biber)
La Rêveuse s’est pleinement appropriée ce langage si particulier, en en rendant à la fois la liberté et l’austérité, l’irrégularité et la rigueur. On perçoit pleinement le contrepoint sans jamais une once d’aridité, tandis que l’orchestre se laisse emporter par l’expressivité sans perdre de vue la profondeur intellectuelle des pièces. Pour cela, la Rêveuse déploie son art du son, point fort de l’enregistrement. Dès les premières secondes, on est frappé par ces sonorités riches et opulentes, bien éloignées de la sécheresse qu’on nous sert trop souvent dans ce répertoire. L’équilibre entre les cordes pincées et les violons est remarquable, tandis qu’une réelle symbiose unit les musiciens. Si l’on peut clairement discerner les voix, on pourrait difficilement les séparer : rarement on aura entendu deux violons, pourtant par ailleurs bien individualisés, s’unir aussi parfaitement que ceux de Stéphan Dudermel et Simon Heyerick. A leurs côtés, la viole de gambe de Florence Bolton sait ménager de beaux moments plus méditatifs, comme dans la Sonata de l’Hortus Musicus I. Enfin, la basse continue sait se faire tantôt discrète (par exemple dans certains passages solos), tantôt ménager un effet en revenant sur le devant de la scène, comme dans les répétitions des « Sonates » de Reinken et dans la BuxWV 271. Et l’on écrira sans exagération que le moindre accord seul « sonne » et parvient à une expressivité tout à fait étonnante – au sens classique du terme – il faudrait presque aller jusqu’à dire foudroyante.
C’est au final un sentiment de plénitude accomplie qui émane de ce disque enchanteur, tant et si bien qu’on attend avec impatience que toutes ces qualités soient désormais mises au service de la musique française du Grand Siècle à laquelle l’ensemble a emprunté son nom et qu’elle défend déjà si bien en concert.
Loïc Chahine
Technique : prise de son colorée et naturelle.
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