Rédigé par 14 h 24 min Critiques, Expositions & Sorties

Quand on badinait avec l’amour (Les fêtes galantes – Musée Jacquemart-André, Paris)

Sept ans après avoir consacré une exposition à l’un de ses derniers maîtres, Jean-Honoré Fragonard, le musée Jacquemart-André s’intéresse à nouveau à l’art pictural du siècle des Lumières en présentant une soixantaine d’œuvres – peintures et dessins – autour du thème de la fête galante.

De Watteau à Fragonard. Les fêtes galantes

Musée Jacquemart-André, Institut de France, du 14 mars au 21 juillet 2014

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Nicolas Lancret (1690-1743) - Baigneuses et spectateurs dans un paysage (Les Plaisirs du bain) - Avant 1725, huile sur toile, 97 x 145 cm - Paris, Musée du Louvre, Département des peintures, collection du  baron Edmond de Rothschild (1926-1997); dation en paiement de droits de mutation, 1990 © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi

Nicolas Lancret (1690-1743) – Baigneuses et spectateurs dans un paysage (Les Plaisirs du bain), détail
Avant 1725, huile sur toile, 97 x 145 cm – Paris, Musée du Louvre, Département des peintures, collection du baron Edmond de Rothschild (1926-1997)
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi

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« Les donneurs de sérénade
Et les belles écouteuses
Echangent des propos fades
Sous les ramures chanteuses »
Paul Verlaine, « Mandoline », Fêtes galantes (1869)
 
 
Sept ans après avoir consacré une exposition à l’un de ses derniers maîtres, Jean-Honoré Fragonard, le musée Jacquemart-André s’intéresse à nouveau à l’art pictural du siècle des Lumières en présentant une soixantaine d’œuvres – peintures et dessins – autour du thème de la fête galante.
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Nicolas Lancret (1690-1743) Fête Galante avec la Camargo dansant avec un partenaire Vers 1727-1728 Huile sur toile, 76,2 x 106,7 cm Washington D.C., National Gallery of Art, Andrew W. Mellon Collection © Courtesy National Gallery of Art, Washington

Nicolas Lancret (1690-1743) Fête Galante avec la Camargo dansant avec un partenaire Vers 1727-1728
Huile sur toile, 76,2 x 106,7 cm
Washington D.C., National Gallery of Art, Andrew W. Mellon Collection
© Courtesy National Gallery of Art, Washington

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Bien que n’ayant jamais accédé au rang de genre à part entière, la « fête galante » apparaît comme un style pictural majeur dans la peinture française du XVIIIe siècle. La définition qu’en donne Georges Wildenstein nous semble particulièrement bien convenir à la description de ces scènes : « Ce sont des réunions aimables – tenues habituellement dans un jardin ou dans un parc – de jeunes gens et de jeunes femmes, le plus souvent travestis – costumes de bergers, costumes de comédiens italiens… Ces jeunes gens s’occupent à causer, à jouer, à fleureter, à faire de la musique et à danser » (G. Wildenstein, Lancret, Paris : G. Servant, 1924, p. 24). Inspiré des pastorales vénitiennes et flamandes des XVIe et XVIIe siècles, le style prend forme sous le pinceau d’Antoine Watteau (1684-1721) dans les années 1710. Donnant un second souffle à la peinture d’histoire, il s’épanouit au début d’un siècle tout juste sorti des longues années de règne du roi Louis XIV. D’autres artistes s’en approprient les codes, les réinventent afin de l’ancrer dans la réalité de l’époque, comme Pater ou Lancret, ou leur donnent des notes plus fantaisistes, comme Boucher et Fragonard. C’est cette évolution du style de la « fête galante », de sa naissance à son dernier souffle, que le musée Jacquemart-André se propose de nous expliquer à travers un parcours chronologique, avec quelques écarts thématiques bienvenus, dans une scénographie sobre et élégante.
 
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Antoine Watteau (1684 – 1721) - Fête galante avec joueur de guitare et sculpture d’enfants jouant avec une chèvre - Vers 1717-1719, huile sur toile, 115 x 167 cm - Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, Gemäldegalerie
© BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / Jörg P. Anders

Antoine Watteau (1684 – 1721) – Fête galante avec joueur de guitare et sculpture d’enfants jouant avec une chèvre – Vers 1717-1719, huile sur toile, 115 x 167 cm
Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, Gemäldegalerie
© BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / Jörg P. Anders

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Cette charmante promenade visuelle dans ce monde de plaisirs en plein-air s’ouvre avec la figure de Watteau, inventeur du style, reçu à l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1712. Son morceau de réception intitulé « Pèlerinage à l’île de Cythère » (Musée du Louvre), évoqué ici avec « L’Isle de Cythère » (vers 1709-1711, Städel Museum), reprend le sujet qui a fait son succès : la quête amoureuse dans un cadre naturel idéalisé. S’éloignant de la pastorale, Watteau prend pour modèles ses contemporains, des Parisiens aux costumes riches et colorés. Le théâtre et la musique, deux thèmes récurrents dans l’oeuvre du peintre valenciennois, sont également abordés dans les premières salles de l’exposition. Ils se retrouvent notamment dans la superbe peinture « Les Plaisirs du Bal » (vers 1715-1717, Dulwich Picture Gallery) où musiciens et personnages en costume se mêlent à la foule de spectateurs admirant un couple de danseurs. En l’absence du chef d’oeuvre « Pierrot » (Musée du Louvre), sa variante « Pierrot content » (vers 1712-1713, Museo Thyssen-Bornemisza) vient rappeler l’influence de la Commedia dell’arte dans l’art de Watteau. L’intérêt de l’artiste pour le théâtre se retrouve également dans la composition de ses tableaux, qui s’apparentent à des mises en scène recherchées, où l’étude par le dessin joue un rôle primordial. Quant à la musique, thème largement développé par le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles en 2013 (Watteau, la leçon de musique, exposition du 8 février au 12 mai 2013), elle est souvent le centre de toutes les attentions et réunit les couples dans « La Proposition embarrassante » (vers 1715-1720, Musée de l’Ermitage). Parmi les quelques dessins présentés, la sanguine « Deux violonistes, l’un de face, l’autre de dos, et un personnage tenant le bras d’une autre personne » (vers 1715-1717, The Ashmolean Museum) a retenu notre attention, non seulement pour son sujet, mais aussi pour son extraordinaire spontanéité, expression du jeu du musicien.
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Jean-Honoré Fragonard (1732-1806) La Fête à Saint-Cloud Vers 1775-1780, huile sur toile, 211 x 331 cm Paris, collection Banque de France © RMN-Grand Palais / Gérard Blot

Jean-Honoré Fragonard (1732-1806) La Fête à Saint-Cloud Vers 1775-1780, huile sur toile, 211 x 331 cm Paris, collection Banque de France
© RMN-Grand Palais / Gérard Blot

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A la mort de Watteau, disparu à seulement 37 ans en 1721, la « fête galante » est devenu le style à la mode, recherché par les plus grands collectionneurs privés. D’autres artistes plus jeunes, dont les plus illustres sont Jean-Baptiste Pater (1695-1736), seul élève connu de Watteau, et Nicolas Lancret (1690-1743) copient et revisitent les scènes galantes de leur maître, en introduisant en particulier des scènes de bain, où l’érotisme n’est plus seulement suggéré (Nicolas Lancret, « Les plaisirs du bain », avant 1725, Musée du Louvre). L’influence de Watteau est sensible chez la plupart des peintres d’histoire de l’époque, certains s’essayant à son style avec plus ou moins de succès, comme Jean-François de Troy (1679-1752) ou François Lemoyne (1688-1737) qui illustre des scènes de chasse (« Déjeuner de chasse », 1723, Bayerische Staatsgemäldesammlungen Alte Pinakothek). Particulièrement charmés par le très harmonieux « Fête Galante avec la Camargo dansant avec un partenaire » de Lancret (vers 1727-1728, National Gallery of Art, Washington D.C.), nous regrettons que le thème de la danse  – maladroitement rattaché au portrait -ne soit pas plus largement traité. Après avoir idéalisé la fête galante, les peintres cherchent à l’inscrire dans la réalité de l’époque en introduisant des lieux de promenade ou des œuvres d’art facilement identifiables des Parisiens.  Les peintres cherchent encore à plaire à leurs commanditaires, alors fasciné par l’Orient, à l’image de la marquise de Pompadour, en faisant apparaître des personnages ou des paysages exotiques dans leurs compositions.
 
L’exposition se termine par l’évocation de deux peintres majeurs du XVIIIe siècle, François Boucher (1703-1770) et son élève Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), chez qui l’influence de Watteau a été notable. Les peintures de Boucher, amateurs de jeunes et jolies bergères, sont-elles vraiment des « fêtes galantes » ? Une peinture comme « Les charmes de la vie champêtre » (vers 1735-1740, Musée du Louvre) s’apparente plus à une pastorale aux couleurs resplendissantes. Le principal « morceau » des derniers feux baroques est le grand format « La Fête à Saint-Cloud » (vers 1775-1780) de Fragonard, prêt exceptionnel de la Banque de France, qui annonce la tendance du « jardin imaginaire pittoresque ». Les œuvres de Fragonard, qui appartiennent le plus souvent à des ensembles décoratifs, suggèrent la très large diffusion de ces scènes légères, prédominantes dans les intérieurs de l’époque. L’influence du style pictural sur les arts décoratifs (tapisserie, céramiques, objets de la vie quotidienne) aurait pu être un agréable et logique prolongement à ces derniers développements du style.
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François Boucher (1703-1770) Les Charmes de la vie champêtre Vers 1735-1740 Huile sur toile 100 x 146 cm Paris, Musée du Louvre, Département des Peintures © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi

François Boucher (1703-1770) Les Charmes de la vie champêtre Vers 1735-1740
Huile sur toile 100 x 146 cm
Paris, Musée du Louvre, Département des Peintures

© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi

 

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On regrettera le manque de mise en perspective de la « fête galante » – probablement du fait de l’exiguïté des espaces d’exposition temporaire du musée : où la « fête galante » prend t-elle ses inspirations ? Quelles différences par rapport aux scènes pastorales ? A ce titre, la présentation de gravures – sans aller jusqu’aux grands formats difficilement exposables – aurait pu être utile. Que dire enfin de la postérité du style, de son influence sur les artistes des générations suivantes ? On a en effet le sentiment, en sortant de cette exposition, que le ciel noir de la Révolution a brusquement mis un terme à cette peinture colorée et raffinée qui enchantait le siècle des Lumières. Il est vrai que, dès le milieu du XVIIIe siècle, le style s’essouffle et est définitivement écarté devant le nouvel intérêt pour l’Antiquité. Rappelons néanmoins l’influence de Watteau sur les artistes romantiques, dont Baudelaire s’est fait le porte-parole. Au XIXe siècle encore, les maîtres de la fête galante resurgissent sous la plume de Verlaine ou le pinceau de Monticelli. La « fête galante » ouvrait la voie aux modernes car, bien qu’apparentée au grand genre de la peinture d’histoire, elle cherchait à représenter des scènes de la vie quotidienne – même si parfois fantasmées – et non plus des scènes mythologiques ou historiques. Ces précisions, qui trouvent certainement toute leur place dans un catalogue d’exposition, auraient pu être apportées, donnant au visiteur l’envie d’aller un peu plus loin. Car, les « fêtes galantes » sont charmantes, fraiches, colorées mais, finalement, la variété étant dans le détail, on pourrait avoir vite fait de s’en lasser…

Marion Doublet

Site internet de l’exposition : www.watteau-fragonard.com

De Watteau à Fragonard. Les fêtes galantes
Musée Jacquemart-André, Institut de France, du 14 mars au 21 juillet 2014
 
Catalogue de l’exposition : « De Watteau à Fragonard. Les fêtes galantes »
Auteur : Dr Christoph Vogtherr et Dr Mary Tavener Holmes
Editeur : Fonds Mercator
224 pages, 39 €

Étiquettes : , Dernière modification: 21 mai 2020
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