Jean-Sébastien BACH (1685-1750)
Sonates BWV 1027-1029, Chorals & Trios
[TG name= »Liste des morceaux »]
« Nun Komm, der Heiden Heiland » Choralvorspiel BWV 659
Sonate BWV 1027 en sol majeur
Trio BWV 528a a 2 Clavier e Pedale, andante
« Allein Gott in der Höh sei her Choralvorspiel » BWV 711
Sonate BWV 1028 en ré majeur
Trio BWV 583 a 2 Clavier e Pedale, adagio
« Ach bleib bei uns, Herr Jesu Christ Choralvorspiel » BWV 649
Sonate BWV 1029 en sol mineur
« Wachet auf, ruft uns die Stimme » Choralvorspiel BWV 645 [/TG]
Bruno Cocset (violoncello), Bertrand Cuiller (orgue et clavecin), Richard Myron (contrebasse)
58’28, Alpha, 2009
[clear]Bruno Cocset possède l’archet agile, assuré, infiniment conteur. Après des sonates de Barrière, Geminiani ou Vivaldi, après les 6 Suites pour violoncelle tous parus chez Alpha, revoilà l’artiste pour un enregistrement programmatique très personnel, cheminement intellectuel que Bruno Cocset décrit avec naturel et candeur dans le livret, autour de la Guerre de Trois. Trilogie d’une écriture explicitement ou implicitement à 3 parties, tryptique cyclique d’un voyage organisé autour de trois blocs « Choral – Sonate – Trio », « Choral – Sonate – Trio » et enfin « Choral – Sonate – Choral », trio de musiciens. A cette ambition s’ajoute deux paris osés. Premier pari : l’utilisation d’instruments rares et précieux avec un alto « Bettera » inspiré d’un tableau de Bartolomeo Bettra et dont aucun exemplaire n’est connu à ce jour, un ténor de violon « alla bastarda » et une grande basse de violon « alla bastarda » elle-aussi. Cette étrange famille, naviguant plus ou moins entre le violon, la viole et le violoncelle permet un déroutant travail sur les timbres et les sonorités. Deuxième défi : le chambardement musicologique. Les 3 sonates pour viole et clavecin sont interprétées avec l’immixtion de la contrebasse de Richard Myron (ce que leur écriture autorise puisqu’elles sont composées à la manière de sonates en trio) et un accompagnement d’orgue pour la BWV 1027 ; les chorals pour orgue étoffés. Ainsi 3 chorals, « bidouillés » avec talent, offrent à Bruno Cocset le plaisir immensément narcissique de dialoguer avec lui-même grâce à l’artifice d’une prise de son en 2 temps…
Le résultat dépasse les espérances. Dès le « Nun komm, der Heiden Heiland », ponctué sobrement et sombrement par l’orgue de Bertrand Cuiller et la contrebasse bourdonnante de Richard Myron, Bruno Cocset installe un climat recueilli et pesant, d’une profondeur de plomb sur laquelle surnage le seul véritable instrument mélodique, un alto « Bettera » ressuscité par miracle, aiguisé et clair. On admire sans réserve la lumineuse maîtrise du geste, la générosité du phrasé qui retombe comme autant de drapés mouvants, ondulant comme une silhouette qui s’éloigne. Il y a là une magie du verbe, une opulence des cordes, une certitude inébranlable qui s’approche de la foi. Foi en ce que Cocset décrit comme la « maîtrise des formes et des langages au service d’un discours incroyable d’équilibre, un discours habité d’une ferveur toujours proche de l’homme » de la part de Bach. S’ensuit la première sonate, BWV 1027 de son matricule. L’accompagnement de Cuillet et Myron demeure discret, socle grave et solide sur lequel Bruno Cocset bâtit sa souple cathédrale. Mais les 3 sonates, trop célèbres, autorisent moins de surprises, et l’on savoure un terrain connu bien que superbement labouré. On regrettera cependant une certaine agressive rudesse dans la BWV 1029, presque revancharde dans son Vivace cravaché et dur qui jure avec l’atmosphère plus introvertie et rêveuse du reste du disque, heureusement rattrapé par les pudiques murmures de l’Adagio qui lui succède.
S’il faut distinguer quelques passages-clefs dans cet enregistrement uniformément touchant par son éloquence large, ce sera les deux Trios : le 528a, subtilement transposé, au cheminement hésitant et mélancolique, embué et suggestif, ressemblant à la caresse rougissante de l’écolier pris en faute. L’archet joue sur les silences et les retards, laisse échapper les aigus chaleureux bourrés d’harmoniques de l’Alto « Bettera ». Le BWV 583 permet quant à lui d’admirer le jeu détaché et les trilles altiers de Bertrand Cuiller qui s’entremêlent au même alto « Bettera » à la sonorité incroyablement humaine et changeante.
Enfin, on avouera sa perplexité et son trouble au sujet des « trucages » concernant les chorals « Allein Gott in der Höh’ sei Ehr », « Ach blei bei uns » et « Wacht auf, ruft uns die Stimme », dévalés de façon cursive et joueuse, qui permettent à Cocset de profiter d’un don d’ubiquité et de se saisir de deux instruments à la fois. Pourquoi ne pas s’être adjoint les services complices d’un ami musicien ? Au plan musical, la supercherie serait restée secrète sans l’honnêteté de son auteur, mais l’esprit demeure en proie au malaise et à la confusion, comme honteux de cette duperie.
En dépit de ces facéties techniques, Bruno Cocset aura encore une fois fait montre d’une musicalité hors-pair, d’un lyrisme bourré d’émotion où la mélodie éclot et serpente avec aisance et fluidité, alternant entre les caprices d’un fleuve et les méandres tranquilles. On découvre aussi la sonorité optimiste et moirée de l’alto « Bettera » qu’on souhaite dorénavant recroiser souvent tant cet instrument hybride, agile et sonore comme un violoncelle, douloureux comme une viole sait charmer par sa nature épanouie et encore mystérieuse.
Viet-Linh Nguyen
Technique : prise de son ample et texturée