Rédigé par 11 h 24 min Concerts, Critiques

Le mariage pour tous !

Pour se marier il faut être deux, et de nous jours il est impensable de ne pas faire un mariage dit d’amour. Il est curieux qu’au XVIIIème siècle l’alliance de l’hymen et de l’amour n’existe que dans l’allégorie et les feux follets mythologiques de la scène.

Rameau, Les Fêtes de l’Hymen et de l’Amour

Le Concert Spirituel, Hervé Niquet

 [clear]

Herve-Niquet-FW-2010-copyright-Nicole-Berge1

Hervé Niquet © Nicole Bergé

[clear]

Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Les Fêtes de l’Hymen et de l’Amour ou les Dieux de l’Egypte (1747)
sur un livret de Louis de Cahusac

Orthésie, Orie : Chantal Santon – soprano
L’Amour, Memphis : Carolyn Sampson – soprano
L’Hymen, une Egyptienne : Blandine Staskiewicz – mezzo-soprano
Mirrine : Jennifer Borghi – mezzo-soprano
Un plaisir, Agéris, Aruéris : Mathias Vidal – ténor
Un Egyptien, Osiris : Reinoud van Mechelen – ténor
Canope : Tassis Christoyannis – baryton
Le Grand-Prêtre, Un Egyptien : Alain Buet – basse 

Chœur et orchestre du Concert Spirituel
Direction Hervé Niquet

[clear]

Mardi 11 Mars 2014 – 20h30 – Théâtre des Champs Elysées

[clear]

Pour se marier il faut être deux, et de nous jours il est impensable de ne pas faire un mariage dit d’amour. Il est curieux qu’au XVIIIème siècle l’alliance de l’hymen et de l’amour n’existe que dans l’allégorie et les feux follets mythologiques de la scène. Alors justement le retour de cette union allégorique du devoir et de la passion est le parangon absolu de l’année Rameau. Mais si les Fêtes de l’Hymen et de l’Amour est un événement en lui même, étant une des rares opéras ballets de larges dimensions à ne pas être recréés avant 2014. Le livret de Louis de Cahusac semble porter les stigmates du sentimentalisme galant à outrance. Néanmoins souvent la réelle beauté est maquillée par des voiles sentimentaux. Louis de Cahusac, comme bien d’hommes de lettres et d’esprit du XVIIIème siècle appartint aux premières loges maçonniques de France. Il est vrai que le terrain de l’interprétation d’une œuvre de l’esprit doit être évoquée avec parcimonie. Néanmoins, si l’allusion intellectuelle aux rites d’une société à secrets telle la Franc-maçonnerie peut être sollicitée, il est évident pour l’heure de se contenter d’hypothèses et non d’affirmations. Avec ces « Dieux de l’Egypte » Cahusac signe l’un des livrets les plus symboliques pour Rameau,  suivront Zaïs en 1748, Zoroastre en 1749 et Les Boréades en 1763. Chaque collaboration des deux artistes est signée par une musique d’une rare extravagance, le texte à entrée multiple est sertie par des accords souvent mystérieux, des harmonies étranges. Signe, ou simple coïncidence, tous ces livrets cités contiennent à peu de choses près l’évocation dramatique d’une initiation, d’une sorte de rite de passage ; l’intrigue amoureuse n’est que le prétexte subtil pour cette mise en scène secrète. Belle raison, puisque la recherche de la candeur et de la beauté semblent être au cœur des préoccupations maçonniques. Mais l’hymen de la musique, du symbole et de la parole puisent fortement dans cette perfection intellectuelle qui rendent forte une musique, passionnante une œuvre de l’esthétique et de l’esprit. Pour l’heure goûter dans les ors et les marbres du Théâtre des Champs Elysées ces Fêtes de l’Hymen ont transporté les sens outre mesure. 

Cette année Rameau 2014 est une réalité par l’investissement constant et le courage des membres du Centre de Musique Baroque de Versailles et les programmateurs qui les soutiennent. Contrairement à l’année Berlioz et bien d’autres anniversaires musicaux plutôt bâclés, l’année Rameau révèle ce que peut l’union de la recherche, de la curiosité et de la volonté. Revoir les Fêtes de l’Hymen est un exploit et les entendre dans la belle salle de l’Avenue Montaigne comble toutes les espérances. Benoît Dratwicki, Hervé Burckel de Tell, Michel Franck et Laurent Brunner pour la recréation à Versailles, ont vaincu définitivement ce pessimisme et défaitisme frileux qui a caractérisé dernièrement le monde de la musique ancienne. Dans une politique artistique de « tubes » de redites continuelles, le courage et la détermination de quelques rares programmateurs dont les susdits, nous encouragent encore à nous passionner pour la nouveauté, la recréation et affirment les passions et l’avenir de la musique en France.

Soirée surprenante, même si mitigée artistiquement. Tout d’abord, abordons plusieurs problèmes. L’opéra Français possède la langue comme piège essentiel. Nous étions habitués à de belles prestations dans ce sens par la britannique Carolyn Sampson, ici tout du long le timbre est certes beau, mais empâté par une projection opaque et une prosodie quasiment inexistante, campant dans le prologue un Amour plutôt platonique et une Memphis hivernale. Dans le rôle de l’Hymen, Blandine Staskiewicz a tout d’une grande voix, mais ne démontre pas suffisamment de subtilité pour nous toucher, alors même que d’habitude son timbre est vibrant d’émotion et de passion. Mais la palme sèche est hélas dévolue à Jennifer Borghi, de laquelle on se contentera d’évoquer un bon mitraillement de notes, mais dans un texte inintelligible. Sa Mirrine ne chante pas vraiment Rameau, mais une manière de Sequenza de Berio sur instruments anciens. Une reconversion probable et sans doute souhaitable, pour cette mezzo au timbre de glace. 

Passées les mauvaises surprise, place à la profonde beauté. Tout d’abord, Chantal Santon, splendide Orie et Orthésie correcte : voix pleine, timbre de feu et présence inaltérable au bout des intrigues. Un  incroyable Mathias Vidal, puissant Agéris et merveilleux Aruéris qui vainc les difficultés colossales de la partition avec détermination et une musicalité restituant avec plaisir et émotion  cette partition. Mais c’est Reinoud van Mechelen qui porte le drame avec son Osiris mémorable,du grave à l’aigu, équilibré et d’une restitution parfaite dans le texte. Pour le Canope de Tassis Christoyannis le seul bémol serait le français mais ce baryton grec puise dans la profonde intelligence qu’il a du texte pour nous offrir des purs moments de bonheur. Dans des petites apparitions, la basse d’Alain Buet nous offre son habituelle musicalité et une prosodie parfaite.

Côté orchestre et chœur, Le Concert Spirituel détient toujours ses excellents instrumentistes, tellement bons qu’ils pourraient se passer de chef, pour laisser Hervé Niquet se promener sur scène en dirigeant les ballets de ces inénarrables Fêtes de l’Hymen et de l’Amour. Ironie à part, Hervé Niquet possède finalement un vrai don de directeur artistique, et tant son charisme que sa prise de possession de l’œuvre imprègnent chœur et orchestre, avec des tempi parfois déstabilisants mais passionnants. Hervé Niquet et les membres du Concert Spirituel nous offrent un Rameau renouvelant son élan chromatique, accentuant et épiçant les harmonies et les rythmes. Nous remarquons surtout les pupitres soli, avec une prédilection notable pour les hautbois et les bassons.

Noces accomplies de l’harmonie et de la mélodie, de la découverte et de la passion, du dramatisme et de l’émotion, finalement c’est sous le haut patronage de la musique que les plus belles rencontres se font.

Pedro-Octavio Diaz

Site officiel du TCE 

Étiquettes : , , , , , Dernière modification: 10 juin 2014
Fermer