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Les couleurs du drame (Mozart, Desperate Heroïnes, Sandrine Piau – Naïve)

On ne présente plus à nos fidèles internautes Sandrine Piau et son remarquable talent dans les rôles de la tragédie lyrique française – dont elle témoignait admirablement il y a encore quelques semaines à Versailles, dans le rôle de Zélidie pour le Zaïs de Rameau.

Sandrine Piau

Wolfgang Amadeus Mozart (1756 – 1791)

“Desperate heroines”

“L’ho perduta, me meschina” (Barberine, Le Nozze de Figaro, acte IV)
“Crudele ?… Non mi dir” (Donna Anna, Don Giovanni, acte II)
“Geme la tortorella” (Sandrina, La Finta Giardiniera, acte I)
“Ah ben me fui presaga… Pallid’ombre” (Aspasia, Mitridate, re di Ponte, acte III)
“Giunse alfin il momento… Deh vieni non tardar” (Susanna, Le Nozze de Figaro, acte IV)
“Crudeli ! Fermate… Ah dal pianto” (Sandrina, La Finta Giardiniera, acte II)
“Se il padre perdei” (Ilia, Idomenea, acte II)
“Sposo, mia vita… Fra i pensieri” (Giunia, Lucio Silla, acte III)
“L’amero” (Aminta, Il Re pastore, acte II)

Sandrine PiauSandrine Piau, soprano
Orchestre Mozarteum Orchestra Salzburg:
Violons I : Franck Stadler, Johannes Bilo, Alizabeth Wilcox, Sophie-Belle Hebette, Scott Stiles, Irene Castiblanco Briceno, Matthias Müller-Zhang, Mona Haberkem
Violons II : Carsten Neumann, Mona Gansczyk, Martin Hebr, Elzbieta Pokora, Ferenc Keskeny, Irina Rusu
Altos : Milan Radic, Roman Christoph Paluch, Toshie Sugibayashi, Herbert Lindsberger, Götz Schleifer
Violoncelles :  Florian Simma, Ursula Eger, Susanne Müller, Johanna Furrer
Contrebasses : Martin Bürgschwendtner, Stephan Ruhland, Martin Hinterholzer
Flûtes : Ingrid Hasse, Beatrice Rentsch
Hautbois : Isabella Unterer, Reinhold Malzer
Clarinettes : Ferdinand Steiner, Reinhard Gutschy
Bassons : Riccardo Terzo, Yoshinori Honda
Cors : Zoltan Macsai, Markus Hauser
Trompettes : Johannes Moritz, Markus Pronebner
Timbales : Michael Mitterlehner-Romm
Clavecin : Luke Green
Direction : Ivor Bolton

Enregistré au Stiftung Mozarteum, Salzbourg (Autriche), novembre 2013.

Naïve 2014. Temps total : 48′

On ne présente plus à nos fidèles internautes Sandrine Piau et son remarquable talent dans les rôles de la tragédie lyrique française – dont elle témoignait admirablement il y a encore quelques semaines à Versailles, dans le rôle de Zélidie pour le Zaïs de Rameau. Après un premier CD “Mozart arias” rassemblant principalement des airs d’opéra seria (Lucius Silla, Mitridate, La Clémence de Titus), nous la retrouvons aujourd’hui dans un répertoire mozartien élargi aux oeuvres de Da Ponte (Les Noces de Figaro, Don Giovanni), mais comprenant aussi quelques extraits d’opera seria (Lucius Silla, Idoménée).

Avant toute chose, même si nous l’avons remarqué et écrit à maintes reprises, force est de constater encore une fois que la résurrection du répertoire baroque, depuis maintenant plus de trente ans, a fait notablement évoluer la tradition mozartienne. Ce répertoire, qui constituait un univers clos et isolé face à l’écrasante prédominance de l’opéra romantique, reçoit désormais les apports de chanteurs qui ont largement pratiqué le baroque italien ou français. Par ailleurs, alors qu’il était assez exclusivement centré sur les oeuvres de Da Ponte, le répertoire mozartien est désormais largement ouvert sur les opera seria, qui constituent une part essentielle de la production du génie musical de Salzburg. Dans ces conditions, l’approche esthétisante et stylistiquement datée d’une Elisabeth Schwarzkopf ou d’une Christa Ludwig, si elle constitue toujours une référence incontournable en raison de sa qualité, est désormais confrontée à une approche plus franchement expressive dans la diction, plus libre aussi dans les ornements (qui peut-être un jour prochain sera aussi le reflet de notre XXIème siècle commençant), que Sandrine Piau illustre ici avec beaucoup de conviction.

Et c’est assurément dans les rôles tragiques, relevés de passages de fureur, qu’elle excelle. Le “Pallid’ombre” (Mitridate), à la tension dramatique très présente dans le récitatif, avec une invocation étirée qui culmine dans le désespoir final, en constitue un excellent exemple. Un autre grand moment de ce récital est assurément le grand récitatif arioso “Crudeli ! Fermate, crudeli, oh Dio !” (La Finta Giardiniera), aux reflets d’une flamboyante profondeur, avec sa cavatine d’une émouvante intensité (“Ah, dal pianto”) et son récitatif final au désespoir émouvant. Bien servi par l’Orchestre Mozarteum Orchestra Salzburg attentif et souple sous la baguette d’Ivor Bolton, le soprano légèrement mat de Sandrine Piau, aux reflets métalliques, délivre des attaques acérées qui campent en quelques notes une implacable atmosphère de drame intensément vécu, et la communiquent irrésistiblement à l’auditeur. L’air de Donna Anna “Crudele ?… Non mi dir !” constitue une autre belle découverte : appuyés sur la ligne impeccable du Mozarteum, les mélismes fusent comme autant de reproches, dans une ornementation légèrement différente de celles pratiquées habituellement mais plutôt réussie. Toujours dans le registre dramatique on retiendra aussi l’émouvant récitatif “Sposo…mia vita” (Lucio Silla) qui précède un funeste “Fra i pensieri”, d’une écrasante noirceur.

Alors, balayée la tradition ? Pas tout à fait. Dans les airs plus sensuels des Noces, comme le “Giunse alfin il momento” de Suzanna, la couleur du timbre demeure un peu sèche à notre goût, et les attaques un peu rudes. On se prend alors à regretter un temps le savoureux mélange de malice teintée d’un doux érotisme que pouvait y mettre une Berganza, ou le timbre moelleuxaux ornements perlés d’une Cotrubas. La même remarque peut s’appliquer au “L’ho perduto, me meschina” de Barberine, ou au “L’amero, saro constante” d’Aminta (Il Re pastore). Dans le “Se il padre perdei” (Idomeneo) le legato est touchant, mais les ornements conservent une couleur un peu trop métallique à notre goût.

Et pourtant Sandrine Piau sait habilement jouer sur les registres. Elle le démontre avec éclat dans le charmant “Geme la tortorella” de La Finta Giardiniera, avec un timbre épanoui et moelleux qui produit de fluides ornements aux notes cristallines.

Voilà un Mozart revisité qui marquera assurément par l’approche personnelle et originale que nous en propose Sandrine Piau, un Mozart vivant et expressif, judicieusement “baroquisé” et qui permet de commencer l’année mithridatisé.

Bruno Maury

Technique : prise de son claire, un peu sèche.

Étiquettes : , , , , Dernière modification: 11 février 2022
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